Peu avant l’élection des nouveaux membres non-permanents du Conseil de sécurité le mois dernier, le Premier ministre Justin Trudeau s’est entretenu avec le Président rwandais Paul Kagame. Le communiqué canadien produit à la suite de cette rencontre décrivait la relation entre les deux pays comme un « fort lien d’amitié », sans doute afin d’obtenir le soutien du régime autoritaire pour la candidature du Canada au Conseil de sécurité.
Ce rapprochement avec un dirigeant autoritaire est peut-être le prix à payer pour un siège au sein de l’une des plus importantes instances multilatérales. Cette démonstration d’amitié n’est toutefois que le dernier épisode d’une tendance plus large quant aux relations problématiques que le Canada entretient avec des États autoritaires. La campagne pour un siège au Conseil de sécurité étant maintenant terminée, il est temps pour le Canada de réévaluer ses relations avec les régimes autoritaires.
Nos relations avec les pays non-démocratiques ne sont certainement pas à négliger. De nombreux analystes soulignent la progression de l’autoritarisme dans le monde. Freedom House concluait récemment que les « pays non libres » et les « pays partiellement libres » – des catégories fourre-tout, il est vrai – sont aujourd’hui nettement plus nombreux que les pays libres, et que la tendance des dernières années n’a pas été positive. Nous ne pouvons pas nous couper de plus de la moitié des États de la planète.
De nombreux États autocratiques savent aujourd’hui combien il est important de proposer un couvert démocratique, notamment en organisant des élections ou encore en vendant leur représentativité et leur inclusivité.
Les pays non démocratiques ne sont toutefois pas tous les mêmes. Si nous arrêtons la ligne des pratiques autoritaires inacceptables aux atrocités de masse et violations des droits contre les populations civiles, ou si nous ne condamnons que les régimes kleptocrates les plus évidents, nous risquons de devenir trop tolérants à l’égard d’autres formes de gouvernance autoritaire.
De nombreux États autocratiques savent aujourd’hui combien il est important de proposer un couvert démocratique, notamment en organisant des élections ou encore en vendant leur représentativité et leur inclusivité. Beaucoup sont passés maîtres dans l’art du marketing politique et de l’image de marque, masquant les facettes plus sombres de leur gouverne autoritaire.
Cela fait des relations avec les États autoritaires un champ miné. Pourquoi, par exemple, le Rwanda ne pourrait-il pas être un bon ami ? Après tout, le pays organise des élections mettant des partis et des candidats à la présidence en compétition et où l’on constate peu de fraude aux urnes. Le Rwanda est également un promoteur de l’égalité des genres, avec l’une des plus fortes proportions de femmes au Parlement. Mais le gouvernement rwandais intimide et assassine ses opposants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. La fraude électorale n’est pas nécessaire car les attentes quant à un vote pour le parti dominant y sont claires. Et les femmes qui siègent au Parlement doivent suivre la ligne de conduite du parti dominant et de la présidence – une présidence aux mains du même homme depuis déjà vingt ans.
Quelles relations le Canada devrait-il donc entretenir avec les États autoritaires ? Tout d’abord, il nous faut abandonner l’idée naïve selon laquelle nous pouvons démocratiser ces États, ou du moins les pousser vers la démocratie, en investissant dans la société civile, les médias, les femmes, etc. Ces investissements sont importants. Mais les États autoritaires connaissent leur politique bien mieux que nous la connaissons et ils sont habiles à coopter et à saper nos efforts. Une politique fondée sur la notion du changement démocratique ignore l’adaptabilité et de la résilience de l’autoritarisme.
Conseillé: Se Tenir Ferme Face au Chantage
Le Canada doit au contraire viser une approche à deux volets. Nous nous devons de reconnaître les États autoritaires et interagir cordialement avec eux. Compte tenu de leur poids sur la scène internationale, ils ne peuvent tout simplement pas être traités comme des parias ou être ignorés. Une diplomatie moralisatrice ne nous mènera pas loin dans un monde où les États non démocratiques sont en pleine ascension. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons renoncer à nos valeurs. Nous devons également être mesurés dans notre approche et conscients de la dissimulation, de la répression et de la violence qui accompagnent l’autoritarisme. La cohérence entre ces deux voies est essentielle. On ne peut pas avoir une amitié un jour, et une ligne ferme quant aux droits de la personne le lendemain. Nous avons eu tendance jusqu’ici à opter pour l’une ou l’autre de ces approches. C’est toutefois un engagement soutenu, réaliste et cohérent dont nous avons besoin.
Cela signifie s’investir dans nos relations avec les États autoritaires. Une bonne diplomatie exige une solide compréhension des pays avec lesquels nous interagissons. Et elle exige des connaissances qui ne peuvent être acquises qu’en s’intéressant de manière soutenue à ce qui se cache au-delà de la politique superficielle de ‘branding’ et de bon citoyen international des dirigeants autoritaires contemporains. Pour cela, nous devons donc déployer les moyens financiers nécessaires pour acquérir ces connaissances.
Une bonne diplomatie exige une bonne compréhension des pays avec qui nous interagissons.
Le Canada n’est pas bien placé pour atteindre cet équilibre. Notre ministère des affaires étrangères a souffert d’années de coupures et notre connaissance de nombreux États autoritaires est superficielle. Nous maintenons peut-être un intérêt pour les deux grandes puissances autoritaires actuelles, la Chine et la Russie, et nous concentrons nos capacités restantes sur quelques autres pays au fil des crises qui se succèdent. Quant à tous les autres, nous en avons compréhension superficielle, ce qui nous rend vulnérables aux erreurs de calcul et, pire encore, à la manipulation. Trop souvent, cela ne fait d’ailleurs que servir les intérêts des régimes autoritaires, soit le contraire de ce que nous visons.
Oui, nous devons entretenir des relations diplomatiques avec les États autoritaires. Nous avons même besoin de ces relations, que ce soit pour obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies ou pour faire avancer de vastes programmes multilatéraux. Mais ces relations appellent à une approche plus fine que de traiter de « fort lien d’amitié » la relation que nous entretenons avec des régimes qui emprisonnent et tuent des opposants.
An English version of this article was published in the Ottawa Citizen