La descente dans l’enfer ou une sortie de la crise en Haïti : quel rôle pour le Canada?

La descente dans l’enfer ou une sortie de la crise en Haïti : quel rôle pour le Canada?
Photo by Robin Canfield on Unsplash.

Depuis le début de mars, la crise sécuritaire et humanitaire en Haïti s’est dramatiquement aggravée. Des gangs fédérés sous le parapluie du G9, dirigés par Jimmy Chérizier, ont libéré environs 4500 prisonniers de deux centres de détention dans la capitale, Port-au-Prince. Ils ont aussi attaqué environ 16 commissariats de la Police Nationale d’Haiti (PNH) et étendu leur contrôle d’infrastructures critiques, y compris une partie de l’aéroport international. Selon le Réseau National de Défense des Droits Humains, les attaques, les viols et l’enlèvement de civils ont augmenté de façon vertigineuse. Aux dires de Maria Isabelle Salvador, Représentante Spéciale pour Haïti du Secrétaire-Général de l’ONU, depuis le début de 2024, le pays a vu plus de décès de civils dû à ces violences qu’en Ukraine.


Les dernières attaques se sont déroulées lors d’une visite du Premier Ministre de facto Ariel Henry au Kenya, pour signer l’accord de coopération requis pour activer le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par le Conseil de Sécurité de l’ONU en octobre 2023. Le retour de M. Henry en Haïti après cette mission a été bloqué par la fermeture de l’aéroport international. M. Chérizier, un ex-policier renvoyé de la PNH et accusé de multiples crimes contre l’humanité depuis 2018, a promis une « guerre civile » et un « génocide » si M. Henry revient en Haiti. Il a annoncé la création d’un Conseil Présidentiel avec Guy Philippe et Moïse Jean-Charles pour rétablir l’ordre. M. Henry a indiqué son intention de rentrer au pays, mais son impopularité et le retrait de l’appui de Washington rendent cette option peu probable.

Quels scénarios sont envisageables dans ce contexte et comment le Canada, un partenaire de longue date, devrait-il agir face à cette situation urgente mais complexe?

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Le premier scénario est le Conseil Présidentiel de Moïse Jean Charles et Guy Philippe, qui participerait à la consolidation du pouvoir par M. Chérizier. Ce scénario pourrait être désastreux pour Haïti, compte tenu des antécédents criminels de M. Chérizier, chef de file sur la liste des individus sanctionnés par l’ONU, les États Unis et le Canada depuis 2022. Guy Philippe est aussi un ancien officier de la PNH, basé dans le Sud du pays. Il a passé plus de six ans en prison aux États-Unis pour blanchiment de fonds liés au narcotrafic, avant d’être déporté à Haïti en fin de 2023. M. Jean-Charles est un ex-Sénateur basé dans le Nord du pays, où il possède une large base politique. Malgré son discours de justice sociale et bien qu’il n’ait pas été formellement accusé de crimes, il est peu probable qu’il puisse contrôler les détenteurs du pouvoir, messieurs Chérizier et Philippe. Le délai continu du déploiement de la Mission multinationale aurait donc comme conséquence l’aggravation des violences et la consolidation du pouvoir des réseaux criminels.

Plusieurs groupes d’haïtien.n.es explorent d’autres scénarios en ce moment. Certain.e.s dirigeant.e.s politiques et sociaux aimeraient négocier la création d’un gouvernement de transition qui représente plusieurs tendances. Certain.e.s évoquent la mise en place d’une administration transitoire avec un mandat limité: d’abord, à ramener la paix avec l’aide de la MMAS sous un contrôle national; ensuite, d’organiser des élections libres et justes, menant à l’investiture d’un gouvernement légitime dans les meilleurs délais. Malgré l’impasse des pourparlers entre les groupes politiques et de la société civile, encadrés par la Communauté des Caraïbes (CARICOM) depuis un an, la création d’un gouvernement de transition représentatif (comme les haïtien.ne.s l’ont fait en 2015-2016, lors de la dernière impasse électorale), est la seule passerelle à une transition respectueuse de la souveraineté d’Haiti.

En parallèle avec ces négociations, les partenaires internationaux pourraient déployer la MMAS dans les jours et semaines à venir. Les partenaires d’Haiti ont déjà mis en place la plupart des éléments requis pour assurer ce déploiement. Les États Unis et le Canada ont promis 250 millions dollars US pour le déploiement initial. Le Kenya a promis 1000 policiers, dont une partie a déjà été formée pour ce terrain; le Bénin a promis 2000 soldats (francophones, heureusement) et plusieurs pays membres de CARICOM ont promis des contingents policiers ou militaires complémentaires. Les États-Unis et le Canada ont aussi offert plus d’appui au niveau du renseignement, de la planification d’opérations antigang et du transport aérien.

L’inaction ou le désaccord continu, à ce moment délicat de notre histoire commune, ne fera qu’ouvrir la porte plus largement à la prise de pouvoir par les groupes armés.

 

Ces mesures sont déjà autorisées par la Résolution 2669 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cette résolution signale aussi les mesures nécessaires pour prévenir des abus de la part des forces étrangères et assurer la cohérence entre la MMAS et des négociations menant à un gouvernement de transition. Le moment est arrivé pour l’action rapide et conséquente des parties prenantes en Haiti et de leurs partenaires internationaux, y compris le Canada. La rencontre d’urgence en Jamaïque lundi le 11 mars, offre une opportunité unique pour arriver au consensus minimum requis pour aller de l’avant. L’inaction ou le désaccord continu, à ce moment délicat de notre histoire commune, ne fera qu’ouvrir la porte plus largement à la prise de pouvoir par les groupes armés.

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