Par Stephen Baranyi et Johnny Velcy*
L’accord du 3 avril 2024, entre les partis politiques haïtiens qui avaient formé le Conseil présidentiel de transition (CPT) un mois plus tôt, demeure un instrument de gouvernance remarquable dans la quête d’une solution haïtienne à l’actuelle crise multidimensionnelle. Mais à deux mois de la fin de sa mise en œuvre, on peine à voir les résultats fixés, notamment le rétablissement de la sécurité publique et l’organisation d’élections légitimes. Le scandale afférent aux échanges entre le Conseiller-Président du CPT Fritz Jean et l’Ambassadeur canadien André-Francois Giroux jette de l’huile au feu d’un processus déjà compliqué. Il risque de discréditer le Canada et le régime de sanctions contre les entrepreneurs de la violence en Haïti, en plus de fragiliser le climat de dialogue nécessaire pour achever la transition de façon responsable.
L’accord d’avril 2024 a inauguré un air d’espoir contre la déchéance de l’État et de ses institutions démocratiques. La publication du calendrier électoral par le Conseil Électoral Provisoire (CEP) en novembre 2025, et l’adoption du décret électoral par le Conseil des ministres le 1 décembre, sont d’autres développements prometteurs. Ces documents envisagent la tenue du premier tour des élections en août 2026, le deuxième tour en décembre, et la passation du pouvoir aux élus le 7 février 2027. Ceci remplit la première des quatre conditions sine qua non soulignées par le CEP, mais de profondes incertitudes persistent au niveau des conditions sécuritaires en particulier.
L’expansion de l’organisation criminelle Viv ansam dirigée par l’ex-policier Jimmy Chérizier, ainsi que ses graves crimes contre la population, continuent sans répit. Par exemple, le 2 décembre 2025, le gang Gran Grif a attaqué Pont-Sondé en Artibonite, tuant 12 habitants et forçant le déplacement d’une centaine de personnes. La Police Nationale d’Haïti (PNH) a déployé des unités spéciales, mais elles sont arrivées trop tard pour empêcher le massacre. Donc malgré le changement à la tête de la PNH, son incapacité institutionnelle et celle de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), nonobstant la bravoure de certains policiers.ères et l’appui de partenaires comme le Canada, demeurent évidentes.
Dans ce contexte compliqué, plusieurs idées circulent au sujet de possibles mécanismes de transition. Le Mouvement haïtien de sauvetage national propose un « retrait ordonné » du CPT afin qu’une administration technocratique de la transition puisse prendre le relai. Le Congrès patriotique pour un sauvetage national préconise un « retrait rigoureusement planifié » du CPT. Le Consensus politique pour le redressement national et la réorientation de la transition plaide pour une nouvelle transition avec un exécutif à deux têtes, à partir du 7 février 2026, incluant la possibilité de passer le pouvoir temporairement à la Cour de Cassation.
Malgré les actuelles tensions au sein du CPT et avec les partenaires internationaux y compris le Canada, concernant l’avenir du Premier Ministre Alix Fils-Aimé, il est possible qu’un nouvel arrangement de gouvernance transitionnelle soit trouvé afin d’organiser les élections prévues. Mais de nouveau, celles-ci dépendent aussi du renforcement des opérations antigangs par la PNH et le plein déploiement de la Force de suppression des gangs autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 30 septembre 2025.
Dans ce climat d’incertitude, quelle position pour le Canada, un partenaire de premier plan pour Haïti ? Tout d’abord, le Canada devrait continuer à appuyer le déploiement de la Force de suppression des gangs et le renforcement de la PNH – y compris des éléments de software comme la relance de l’Inspection générale et ses activités d’assainissement pour réduire la criminalité au sein de la PNH, le renforcement de la Direction Centrale de la Police Judiciaire et sa mission d’assistance à la justice.
Ensuite, au lieu d’essayer de microgérer le processus de transition politique ou d’encourager les pratiques malencontreuses de Washington, Ottawa devrait favoriser un consensus minimal entre les parties prenantes haïtien.nes. L’appui au processus électoral devrait se maintenir, car des élections libres et justes sont décisives pour le redressement de la légitimité et de l’État.
Finalement, l’assistance financière pourrait s’élargir à travers deux créneaux stratégiques : i) l’appui à une éventuelle réforme de la justice statutaire et entretemps, l’appui à la relance de la justice transitionnelle en 2027, sous un gouvernement élu; ii) le renouvellement du programme Voix et leadership des femmes qui, malgré son renouvellement dans 20 autres pays et sous-régions en 2024, n’a pas encore été reconduit en Haïti. Si ce renouvellement se faisait d’ici le 31 mars 2026, cela augmenterait le rôle que les organisations féministes, un pilier de la société civile, pourraient jouer dans la construction d’une transition démocratique durable.
*Johnny Velcy fait ses études doctorales à l’École de développement international et mondialisation à l’université d’Ottawa. Sa recherche porte sur la coopération onusienne et canadienne dans les domaines de la justice et de la sécurité publique en Haïti.








