Dix-neufs personnalités éminentes du monde politique et juridique, dont Louise Arbour, Lloyd Axworthy, et Ed Broadbent, pour lesquels j’éprouve le plus grand respect, ont adressé au premier ministre une lettre lui priant de permettre à Meng Wanzhou de retourner en Chine, en vue de favoriser la libération de deux canadiens injustement emprisonnés, Michael Kovrig et Michael Spavor.
Il me peine de l’écrire, mais ce n’était pas une très bonne idée : tout d’abord, il y manque le nom d’un autre canadien qui a été arrêté tout aussi arbitrairement, Huseyin Celil, il y a plus de treize ans déjà. Il y manque aussi le nom de deux autres détenus, dont l’un, Robert Schellenberg, a été condamné à la peine capitale à l’issue d’un nouveau procès sous prétexte que de nouvelles « preuves » rendaient caduque sa condamnation précédente de quinze ans. 123 canadiens sont détenus en Chine, dont treize depuis l’arrestation de Madame Meng.
Plus fondamentalement, cette proposition d’échange de prisonniers est très problématique. Elle fait en sorte que tout citoyen canadien résidant en Chine pendant une crise bilatérale risque de devenir une monnaie d’échange. Tout universitaire ou journaliste canadien qui fait son travail peut potentiellement être accusé d’espionnage ou d’atteinte à la sécurité nationale pour ses enquêtes. En proposant ce marchandage, les autorités chinoises ne manqueront pas d’en tirer la leçon que leurs pressions donnent des résultats. Il est donc regrettable que les signataires de cette lettre, personnalités éminentes pour leur respect des droits humains et des libertés, aient involontairement fait le jeu d’un des régimes les plus autoritaires de la planète. Cette lettre sabote aussi les efforts du premier ministre et son cabinet, qui ont travaillé ferme afin d’obtenir le soutien de la communauté internationale.
Il est rassurant de constater que le premier ministre a répondu de façon honorable au chantage qu’exerce le gouvernement de Xi Jinping à l’encontre du Canada. Il a eu tout à fait raison d’affirmer que de soustraire Madame Meng Wanzhou à la procédure d’extradition aux États-Unis, où elle doit répondre à des accusations de fraude, en échange de la libération de Michael Kovrig at Michael Spavor, est inacceptable. Céder à ces pressions, comme il l’a justement souligné en point de presse, équivaudrait à reconnaitre l’efficacité de la prise d’otage comme pratique diplomatique. Les autorités chinoises, après l’avoir démenti initialement, ont finalement admis l’inadmissible : l’arrestation de ces deux citoyens canadiens est une mesure de représailles à l’arrestation de Madame Meng.
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Sans le moins du monde vouloir insinuer quoi que ce soit quant à la bonne volonté des dix-neuf signataires de la lettre plaidant auprès du premier ministre de permettre à Madame Meng de circuler où elle veut, il est regrettable qu’ils et elles ne voient pas l’odieux de cette équivalence pour deux situations totalement différentes. Les restrictions minimes imposées à Madame Meng n’ont rien à voir avec l’isolement forcé et les tortures psychologiques imposées aux deux ressortissants canadiens. Madame Meng peut mobiliser les ressources de juristes grassement payés et même recruter des comédiens pour jouer le rôle de manifestants qui lui apportent du soutien, Kovrig et Spavor n’ont plus droit à des visites consulaires sous prétexte de l’épidémie de la COVID.
Quelques voix ont exprimé leur indignation parce que le Canada est victime collatérale du bras-de-fer entre la Chine et les États-Unis, et jugent injuste que le Canada soit contraint de prendre parti entre les deux premières puissances mondiales. Ce raisonnement s’appuie sur une prémisse dangereuse : cette idée fausse qui voit une équivalence entre les États-Unis et la Chine. Une différence fondamentale existe entre les deux : le premier demeure un état de droit où l’opposition politique peut s’exprimer, infléchir le gouvernement, et même le remplacer. Rien de tel n’existe en Chine, et la gouverne de Xi Jinping ne s’engage pas dans cette direction. Trump et les Républicains peuvent perdre le pouvoir dès novembre, rien de tel en vue en Chine pour Xi et le parti communiste.
Un argument de cette lettre aurait pu me convaincre. Ses auteurs avancent que par souci d’éviter une détérioration du sort des deux Michaels, la diplomatie canadienne s’est montrée trop prudente sur des enjeux tels Hong Kong. Selon cette logique, la libération de Madame Meng, en favorisant le retour sain et sauf des deux détenus canadiens, permettrait enfin à la diplomatie canadienne de faire preuve de fermeté vis-à-vis la Chine en ce qui concerne d’autres litige ou contentieux entre les deux pays. De toute évidence, la diplomatie modérée du Canada n’a pas aidé au sort d’Huseyin Celil, et on est droit de se demander si les signataires de cette lettre pensent qu’afin de faire avancer ce dossier, le Canada devrait continuer d’utiliser une politique qui, c’est le moins qu’on puisse dire, pèche par excès de prudence.
L’arrestation arbitraire de Kovrig et Spavor a mis en relief la nature du régime de Xi Jinping : on ne peut que se réjouir de ce que le premier ministre ait pris la mesure du problème. Une autre lettre circule, encourageant le premier ministre a maintenir le cap.
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