Aujourd’hui, on ne peut que se demander ce qui se passe dans la tête des dirigeants théocratiques de l’Iran. Autant, jusqu’à récemment, semblaient-ils avoir une stratégie gagnante face à l’Arabie saoudite dans le conflit par procuration au Yémen, dans la confrontation avec les États-Unis aux abords du détroit d’Hormuz, et comme défenseurs irréductibles des Palestiniens, se moquant des « frères arabes », autant aujourd’hui, l’Iran semble perdre sur tous les tableaux, avec en outre l’impact désastreux du COVID-19.
Une récapitulation s’impose. L’assassinat de Soleimani par les États-Unis, répréhensible au titre du droit international, malheureusement suivi par la descente de l’avion ukrainien; la décision du Groupe d’action financière de mettre en application les sanctions contre l’Iran devant le refus de ce dernier de prendre les mesures nécessaires auxquelles il s’était engagé en 2016 en matière surtout de financement du terrorisme, mais également de blanchiment de capitaux; la décision des signataires européens d’enclencher le mécanisme de résolution des différends au titre des manquements allégués par l’Iran au regard de l’accord nucléaire; le rapprochement entre les pays arabes et Israël contre lui, habilement provoqué par les États-Unis via l’Arabie saoudite, la faible participation électorale aux dernières élections, délégitimant le régime au point de provoquer des manifestations en faveur de sa chute et poussant à une répression de plus; les réactions équilibrées mais effectives des États-Unis contre les bombardements iraniens en Irak; la perte d’adhésion au régime iranien en Irak même chez les Chiites iraquiens; la perte de confiance de l’Agence internationale de l’énergie atomique envers le régime iranien depuis le refus de ce dernier de donner plein accès à des sites nucléaires présumés.
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La situation économique de l’Iran est catastrophique et le nombre de victimes du COVID-19 illustre l’état de déliquescence du système de santé. L’existence de fosses communes pour enterrer les victimes a horrifié autant les Iraniens que la communauté internationale. Une fière nation avec 5000 ans d’histoire glorieuse, illustrait au monde son sous-développement autant moral qu’économique et social alors même que les plus conservateurs ont reconquis le parlement. Le Président Rouhani, sur lequel l’Occident comptait, aussi naïvement que du temps de Mohammad Khatami, pour réintégrer son pays dans la communauté internationale, n’est pratiquement plus qu’un pantin. Le pays, exsangue, ne peut plus se permettre ses aventures extérieures, le financement de ses partenaires infra-étatiques – milices iraquiennes, gardes révolutionnaires en Syrie, Hezbollah, soutien aux Houthis du Yémen – et même son programme de missiles au regard de son équipement militaire désuet.
La situation économique de l’Iran est catastrophique et le nombre de victimes du COVID-19 illustre l’état de déliquescence du système de santé.
La chute des prix du pétrole à laquelle s’ajoute l’effondrement du système de santé devrait susciter en Iran une volonté de changement de cap, si ce n’est de régime que le pouvoir théocratique ne voudra pas lâcher à moins d’un coup d’état qui serait épouvantablement sanglant. C’est en cela que le rejet de l’accord nucléaire par le président américain est presque criminel car il n’a absolument rien apporté à la stabilité internationale, bien au contraire, d’où les efforts des Européens, sans l’appui américain, de maintenir une négociation avec l’équipe de Rouhani sans que ce dernier jouisse sur ce plan de l’appui de l’Ayatollah Khamenei. Le retour au JCPOA/accord nucléaire parait exclu. L’ironie, aujourd’hui, c’est que seule la réinsertion des Américains, en position de force, est en mesure de dénouer la crise. Toutefois, le régime iranien, trahi, et ne voulant pas perdre la face, ne voudra pas reprendre la négociation sans garantie en retour. Mais pour l’heure, Trump ne négocie pas, il n’offre rien et exige la soumission totale : sortie d’Irak, changement de régime, fin totale du programme nucléaire dans la durée, maintien permanent de l’embargo sur l’achat d’armes et élimination du programme de dotation de missiles, conformément aux résolutions des Nations Unies.
On est loin de l’atmosphère de la négociation du JCPOA. Le danger dans cette situation, c’est que l’Iran, dans un mouvement désespéré, décide de reprendre à fond son programme nucléaire au mépris des réactions américano-israéliennes. La Russie s’efforcerait de ménager l’Iran maintenant qu’elle a pris une position dominante dans la région, au détriment des États-Unis. Ceux-ci, encouragés par Israël, surtout si Trump est réélu, pourraient avoir recours à une frappe dévastatrice. Seule une boule de cristal pur permettrait de déterminer l’issue d’un conflit éventuel, même local. Une boule moins précise dirait que l’élection américaine de 2020 pourrait être déterminante. Rien de tout cela est rassurant. De fait, seul un changement de régime pourrait sauver l’Iran…mais au prix de combien de victimes!